« Montrer qu’un projet est un lieu de vie »
Alexandre Petzold est paysagiste DPLG de formation, diplômé en 1994 de l’ENSP de Versailles après un BTS d’Horticulture de l’école Du Breuil. Entre 1995 et 1998 il a été paysagiste au Conseil en architecture urbanisme et environnement de la Somme (CAUE).
Depuis 1998, il est photographe auteur indépendant, inscrit à l’Agessa.
En tant que photographe, il répond assez régulièrement à des commandes de paysagistes concepteurs qui l’appellent le plus souvent pour photographier leurs projets réalisés. Dans les deux entretiens que nous avons menés avec Alexandre Petzold, nous avons essayé de comprendre quels étaient les termes de la commande entre les paysagistes et le photographe. Ces deux entretiens avec le photographe sont complétés par des entretiens avec certains des paysagistes commanditaires.
Entretien de Alexandre Petzold avec Sonia Keravel, Versailles, avril 2014, inédit.
Entretien de Alexandre Petzold avec Sonia Keravel, Carrières-sous-Poissy, juin 2015, inédit.
Se définir : « quelqu’un qui amène une valeur pédagogique »
SK : Comment tu te définis ? Est-ce que tu es paysagiste, photographe, photographe-paysagiste, photographe-auteur, photographe-artiste ?
AP : Artiste… non. Ou du moins, je ne me suis jamais posé la question en ces termes. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de sensibilité dans ce que je fais, mais je me considère plus comme quelqu’un qui essaie d’amener une valeur pédagogique à ce que je vois, à ce que je ressens. Je travaille toujours au service du projet et du site. Je me suis toujours mis dans cette optique là. Je n’ai jamais considéré mes images comme des œuvres d’art mais plutôt comme des documents pouvant prendre de l’épaisseur avec le temps. L’œuvre d’art, elle, est plutôt devant mes yeux en fait. Et moi, je suis juste un medium qui essaye de transmettre quelque chose que d’autres ne verront pas forcément. Cela vaut aussi bien pour un projet que pour un paysage au sens large.
Finalement, j’ai toujours considéré la photographie, sans que ce soit péjoratif, comme un moyen d’illustrer un propos, mais aussi une problématique.
Objets photographiés : les projets de paysage
SK : Comment en viens-tu à photographier des projets de paysage, pour qui travailles-tu ? Des collègues de promotion ? Un réseau ?
AP : Au départ, j’ai commencé par photographier des espaces publics que j’appréciais. J’étais encore étudiant à l’ENSP et l’idée, c’était de me constituer mon propre fonds photo par rapport à tout ce qu’on pouvait aborder à l’école. Puis après, quand j’ai intégré le CAUE de la Somme comme paysagiste, j’ai participé à un petit ouvrage intitulé « L’espace public, un patrimoine en évolution ». Ce qui était très intéressant, c’est que l’auteur, l’architecte Jean Michel Merchez, avait pris le parti de présenter aussi des aménagements qui ne fonctionnaient pas. Et moi à qui on avait demandé de faire les photos, j’avais tendance à esthétiser ces mauvais projets sans m’en rendre compte et il m’en avait fait la remarque. Ça été très formateur. D’ailleurs par la suite, j’ai pu mettre à profit cette expérience lorsque j’ai travaillé sur un observatoire du paysage. C’était sur le département de l’Ardèche pour le compte de la DIREN Rhône-Alpes et je m’étais appuyé sur l’étude de paysage qu’avaient réalisée en amont Bertrand Rétif et Frédéric Reynaud de l’Agence Itinéraire Bis. Dans cette étude, ils avaient entre autre répertorié ce qu’ils appelaient « des points noirs paysagers ». Il fallait donc que cela apparaisse évident aussi par l’image. Voilà, sinon, pour en revenir à aujourd’hui, je travaille plutôt avec des paysagistes de l’ENSP de Versailles, mais ce n’est pas un choix sectaire de ma part.
SK : Tes commanditaires sont donc des gens qui te connaissaient, qui savaient que tu faisais de la photo ?
AP : oui, des amis ou des amis d’amis, puis après j’ai commencé par aller voir des CAUE qui m’ont conseillé d’appeler untel ou untel de leur part.
SK : C’est du bouche à oreille.
AP : Oui.
SK : En fait les paysagistes sont très fidèles à leur photographe.
AP : Oui, quand ils le peuvent.
SK : Et quel est l’état de la commande pour les gens comme toi qui photographient les projets de paysage. Est-ce difficile aujourd’hui d’avoir des commandes qui t’intéressent ?
AP: C’est difficile d’avoir des commandes tout court ! En réalité, les bureaux d’études de paysage sont bien souvent de petites structures qui économiquement sont fragiles. Alors, engager une mission photo n’est pas pour eux une priorité. En fait, ces commandes sont trop aléatoires pour que je puisse me consacrer qu’à ça. De toute façon, ce n’est pas forcément ce que je recherche. Je travaille aussi dans le domaine du jardin. J’ai fait quelques livres sur le sujet et je collabore souvent avec la presse jardin.
SK : C’est quoi la presse jardin ?
AP : En terme de commande, je travaille essentiellement pour le magazine Rustica. Pour eux, je suis plutôt spécialisé dans la photo technique de jardinage et les portraits de plantes. Pour d’autres revues, je prépare des sujets à l’avance que je leur propose. Des fois, je me sens plus jardinier que photographe. Ça dépend des jours !
SK : Pour bien saisir, quelles sont les agences avec lesquelles tu travailles ?
AP : Actuellement, j’effectue une importante mission photographique pour l’Agence TER concernant la réalisation du Parc du peuple de l’herbe à Carrières-sous-Poissy. Jusqu’à présent pour eux, j’avais photographié uniquement des projets déjà réalisés. Sinon, j’ai aussi travaillé notamment pour Laure Planchais, À ciel ouvert, Florence Sylvos et Béatrice Fauny à l’occasion d’une étude de paysage.
Démarche et méthode : « comprendre où on est, qu’est-ce qu’on y fait et pourquoi on s’y sent bien »
SK : Comment ça se passe quand tu travailles pour un paysagiste ? À chaque fois tu procèdes avec eux un peu de la même manière ou tu t’adaptes à chaque agence et à chaque projet ?
AP : Je m’adapte à chaque fois. En général, ce que je propose c’est d’aborder le lieu à travers sa pratique, c’est à dire montrer que les gens profitent du lieu, le traversent, s’y arrêtent… Comprendre l’insertion du lieu dans son contexte, et puis des cadrages un peu plus resserrés sur des choix techniques, des options de plantation, des choses comme ça. Et puis parfois, il y a des imprévus qu’il faut saisir… Mais c’est toujours dans ce souci de comprendre où on est, qu’est-ce qu’on y fait et pourquoi on s’y sent bien.
SK : Donc tu photographies dans l’idée qu’il faut valoriser le projet, c’est ça ?
AP : Plus que de le valoriser, le révéler. C’est-à-dire, montrer qu’il existe. Et qu’il n’existe pas simplement en tant qu’image. Paradoxalement, par l’image, je m’efforce de démontrer que le projet n’est pas une image.
SK : Quand les paysagistes présentent le projet, ils te montrent le contexte. Est-ce qu’ils t’expliquent la commande ?
AP : La genèse du projet ? Oui, bien sûr. Ils prennent le temps de m’expliquer la commande, le contexte, comment ils en sont arrivés à définir telles intentions…
SK : Donc, quand tu dis révéler le projet, c’est aussi révéler les intentions des concepteurs et leurs choix de composition spatiale, ou leurs choix techniques.
AP : Oui bien sûr. C’est tout cela que j’essaie de révéler à travers mes images.
Enjeux : « des lieux et des rencontres »
AP : Je suis assez fidèle aux lieux et aux gens. Parce que j’aime bien raconter à travers mes photographies, une histoire qui s’inscrit dans le temps. Lors d’une commande, j’essaie de faire comprendre qu’un lieu a des aspects différents selon les saisons, selon la pratique des gens, selon plein de critères. L’idée est de montrer qu’un lieu vit. C’est ce que je suis en train de faire actuellement au Potager du Roi. Je ne me focalise pas uniquement sur la dimension historique et patrimoniale du site. Je montre aussi que c’est un lieu de vie. Un lieu qui vit, grâce aux jardiniers. Aujourd’hui, dans tous mes projets, l’aspect humain est le plus important. Que se soit avec le paysagiste Claude Pasquer que je suis dans son travail artistique ou bien avec le maraîcher Asafumi Yamashita avec qui je viens de faire un livre (1), l’humain est au cœur du projet.
SK : L’individu dans son environnement…
AP : Dans son contexte, oui dans son environnement.
SK : Finalement, ton travail porte aussi beaucoup sur la plante, on sent que tu as une connaissance botanique qui vient nourrir ton regard de photographe. Le travail que tu fais là sur le jardinage, le maraîchage, sur les gestes jardiniers, je suis sûre que ça infuse aussi sur des prises de vues des projets. Par exemple dans des photos de chantier et la série que tu m’as montrée au tout début. C’est la construction d’un point de vue sur le projet qui est le tien.
AP : Oui, c’est comme si je m’appropriais le projet. Mais dans l’exemple que tu décris, j’ai vu approcher cet engin de chantier qui transportait deux arbres vers leur trou de plantation et je me suis dit : « tient, on dirait un gros bourdon un peu perdu au milieu d’un paysage en chantier ! Et j’ai eu de l’empathie pour lui ! Je trouvais que c’était aussi un moment qui participait à la vie du chantier.
En fait, dans mon travail de photographe j’ai souvent l’impression de partir un peu dans tous les sens. Mais avec le temps, je m’aperçois qu’il y a quand même quelques fils conducteurs. J’en ai pris conscience en réalisant mon site internet. Ça m’a obligé à préciser ma vision des choses et de comprendre vers quoi je voulais aller. Par exemple pour ma page d’ouverture j’ai mis un titre qui accompagne une photo. Les titres ça aide beaucoup à définir l’essentiel. J’ai écrit : « des lieux et des rencontres ». Et en fait c’est exactement ça, dans tout ce que je réalise, quelque soit le sujet abordé, que ce soient des commandes ou non, ce sont toujours des histoires de lieux et des histoires de rencontres.
(1) L’homme qui écoute les légumes. No do. Éditions Actes Sud