Alice Roussille (Paula Paysage)

Alice Roussille

« Le regard de quelqu’un d’autre qui entre dans le projet »

Alice Roussille est paysagiste diplômée de l’ENSP Versailles et indépendante depuis 2003. Elle est également enseignante à l’ENSP Versailles. Elle a fondé en 2009 l’agence Paula paysagistes avec Nathalie Lévy. Paula est une petite agence qui réalise des projets de maîtrise d’œuvre, des études urbaines et de paysage et de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage dans les domaines public et privé. Alice Roussille a une pratique de la photographie au sein de son agence mais elle fait aussi régulièrement appel à la photographe Emmanuelle Blanc. Cet entretien avec la paysagiste est complété par un entretien avec la photographe.

Entretien de Alice Roussille avec Sonia Keravel, Versailles, 28 Janvier 2016, inédit.

 

Square Fourier, PAULA Paysage, la ZAC du Port a l'Anglais a Vitr
Square Charles Fourier à Vitry-sur-Seine, Projet Paula paysage.
Photographie de Emmanuelle Blanc.

Utilisation quotidienne de la photographie en agence : « pour préfigurer ce que l’on pourrait faire »

SK : Comment utilises-tu la photographie ? Qu’est-ce que cela t’apporte par rapport à d’autres médiums ? 
AR : Cela peut sembler évident, mais dans les pratiques que l’on a couramment, il y a : les photos du site, de l’existant, qui permettent de rendre compte de l’espace tel qu’il est quand on le visite. Ici, par exemple, c’est une base de photomontage qui a servi pour préfigurer ce que l’on pourrait faire dans cette cour. Ensuite, ce sont les photos de chantier. Les photos de chantier m’aident parce que les projets réalisés de bout en bout sont peu nombreux. Cela met tellement d’années ! Donc je fais beaucoup de photos sur le chantier. (…) Je prends chaque étape et l’ensemble est rangé bien précisément dans mon ordinateur suivant les dates. Si je regarde les photos mises bout à bout, je vois vraiment l’évolution du chantier. Les photos de chantier sont faites par moi avec mon téléphone ou mon appareil photo rapidement pour rendre compte du processus. Après, il y a toutes les photos dont je ne parle pas, qui ne sont pas les photos du site, mais les photos de références. Cela vient assez vite en fait dans nos projets. Je prends aussi des photos de matériaux, puis des photos pour communiquer les problèmes, que je renvoie aux entreprises. Dans ce cas, la photo fait preuve.

Le moment d’intervention du photographe : « lorsque le projet est sorti de terre et que la végétation a repris »

SK : Quand Emmanuelle Blanc intervient-elle ? A quel moment du projet ? 
AR : Le plus souvent à la fin du projet. Nous avons hâte d’envoyer Emmanuelle photographier nos nouveaux projets. Nous attendons le printemps pour Massy, pour la rue de Nantes dans le 19ème et pour le projet du canal de l’Ourcq dans le 19ème. Les arbres viennent d’y être plantés et donc il est trop tôt pour aller les photographier maintenant. Nous avons aussi ce projet là, aux Herbiers, il faudrait aussi le photographier, mais plus tard, car il sera livré cette année. Les autres sont déjà livrés. Un projet met six ans à sortir de terre ! Je ne comprends pas comment on peut avoir des photos avant.

Nature des échanges entre paysagiste et photographe : « une relation de confiance, un truc de binôme »

SK : Comment se passent les échanges entre toi et Emmanuelle dans une situation de commande ? 
AR : Nous nous parlons. Nous ne sommes jamais allées ensemble sur le site, ou peut-être une fois. Ensuite, elle choisit, suivant son emploi du temps et suivant la météo, le moment où elle va sur le site. Je la laisse faire.

SK : Et là, par exemple, dans la photo de la cour : est-ce que tu lui as fait une demande très précise ?
AR : Non, c’est un test. Pour lui expliquer, je lui avais raconté la genèse du projet, ce qu’on avait fait. J’ai attiré son attention sur certains points, mais je n’ai pas le souvenir de lui avoir demandé de cadrage précis. Elle a testé quelque chose et elle savait.

SK : Lui demandez-vous explicitement de photographier les projets avec des usagers ? Dans le projet de square à Vitry-sur-Seine par exemple ? 
AR : Non, nous n’avions rien demandé. Mais je crois qu’elle a été bien inspirée par ce square.
À chaque fois je lui montre les plans, etc. (…) Je lui avais montré les trois grandes lignes, un peu les points de vue sur lesquels nous avions travaillés. Et elle a fait à son idée.
Nous nous voyons plus après qu’avant la prise de vue. A partir de tout ce qu’elle a sorti, nous choisissons une sélection qu’elle retravaille, recontraste, quelque fois elle recadre, et voilà, elle nous remet les images. Nous travaillons sous forme de forfait.
Elle photographie le projet à sa manière, du moment qu’elle rend compte à peu près des éléments essentiels du projet. Finalement, ce qu’elle voit est ce que les gens vont voir. Peut-être qu’un jour elle ne prendra pas en photo ce que j’attendais et là je me dirais que le projet est complétement raté. Mais ça ne s’est pas encore produit.
À moins d’avoir beaucoup de temps, les relations entre photographe et paysagiste sont souvent des relations par connaissance. C’est plus facile, on se connaît, après ça roule. On peut se comprendre assez rapidement. Il y a un truc de binôme.

Ce que la photo du photographe apporte au paysagiste : « un regard d’auteur et un regard extérieur »

SK : Que cherches-tu dans les photos de photographe ?
AR : Un regard d’auteur. C’est pour cela que je trouve bien que nous nous en tenions à Emmanuelle. Je trouve que cela affirme quelque chose. Après, on aime ou on n’aime pas, mais c’est toujours subjectif. Moi-même, je pourrais aimer davantage d’autres photographes, mais ce que j’apprécie dans le travail d’Emmanuelle, c’est la densité de ses images. j’ai mes images et j’ai les siennes qui ont quelque chose de plus : elle a un regard, une manière de cadrer qui est tout le temps un peu la même chose et qui est bien choisi, bien orienté.
C’est le regard de quelqu’un d’autre qui entre dans le projet et qui est de la partie.

SK : Vois-tu le travail de l’image de projet un peu comme une chaîne (paysagiste, photographe, graphiste…) ? 
AR : Oui, exactement. Ces images sont déjà une manière de donner le projet, de le restituer.
Il y a un moment où je me détache du projet. La photographie permet que le projet existe dans la sphère publique, autrement c’est dommage, personne ne le connaît. Ensuite, que la photographie existe sous telle ou telle forme, … je passe un peu la main. Et puis nous sommes deux, Nathalie a d’autres goûts que moi, donc nous nous mettons d’accord. A un moment, le projet a été produit, et ce qu’Emmanuelle y voit, comme usager, m’intéresse.

SK : Tu as déjà été surprise par ses photos ? Etonnée de ce qu’elle vous a rapporté ?
AR : Oui, pour le premier projet, à Vitry, sur lequel j’étais moins parti prenante parce que c’est Nathalie qui l’a suivi. Elle a vraiment bien rendu la façon dont elle s’était positionnée. Je ne veux pas parler à sa place…mais il me semble qu’elle a dû y passer une vraie journée. Elle y a été avec ses deux filles. Elle a eu le temps de faire des essais etc. Et j’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose dans la journée. Elle a eu le temps de faire des photos plus classiques de photographes et à un moment, elle a commencé à photographier ses filles qui courent dans l’espace. Cela a rendu le projet très fort et je trouve la photo presque plus riche que le projet.

SK : Dans ce genre de cas, penses-tu que l’on puisse dire que le photographe participe d’une certaine façon à la construction du projet ? 
AR : Plus qu’à la construction du projet, la photographie participe à l’aura du paysagiste et même à son existence dans le monde des paysagistes ! Pour moi, par exemple, Jacques Coulon, a été très vite une référence parce qu’il y avait ses images dans les livres. Je le connais d’abord comme ça.

 

Préfigurer
Photomontage Etat existant pour préfigurer le projet. Cour Malte-Brun, Paris.
Photographie de Alice Roussille, Paula paysage.
Malte-Brun chantier mars 2014
Photo de chantier. Cour Malte-Brun, Paris.
Photographie de Alice Roussille, Paula paysage.
Pavés calsada chantier mars 2014
Matériaux, pavés calsada. Cour Malte-Brun, Paris.
Photographie de Alice Roussille, Paula paysage.
Pontoise
La photographie comme preuve. Sol de toit terrasse à Pontoise.
Photographie de Alice Roussille, Paula paysage.

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