« Relever la singularité du paysage : raconter le paysage, en projet, par la photographie »
Unité d’enseignement paysage 2016/2017
Responsable : Marie José Canonica
Enseignants : Frédéric Chastanier, Ethel Buisson, Camille Tourneux, Claude Valentin
En collaboration avec les membres de l’équipe PhotoPaysage composée de Frédéric Pousin et Sonia Keravel
Objectifs de l’enseignement :
Relever la singularité d’un paysage est un enseignement qui s’adresse aux étudiants en deuxième année de cycle Licence de l’École nationale supérieure d’architecture de Nancy. C’est un enseignement particulièrement ouvert et transdisciplinaire. Il permet de passer de manière progressive du relevé au projet — le projet étant ici entendu comme processus — et d’innover dans les types de représentations par l’abstraction, la réalisation de dessins et de cartes expressives et en référence à d’autres champs disciplinaires. Cet enseignement a pour but d’observer, de noter, de photographier, de dessiner avec divers outils et de le faire avec plaisir. Il vise également à apprendre à relever les qualités sensibles d’un site ou d’un paysage, à expliciter la valeur de médiation de l’image, à cartographier le territoire dans ses rapports à la figuration objective et subjective, à révéler les pratiques et les usages des habitants, à questionner les différentes échelles du paysage et à distancier ces images pour explorer leur part de réel et d’imaginaire. Cette approche, croise un sujet-thème pédagogique et un objet-territoire de la métropole du Grand Nancy.
Cette année l’atelier propose de révéler les singularités paysagères de douze ensembles paysagers de la métropole du Grand Nancy, par le medium de la photographie. Ces ensembles paysagers sont tous des sites où des projets de concepteurs ont été réalisés. L’idée est de confronter une lecture in situ à des documents de projet et de privilégier l’entrée par la photographie.
Les sites sont les suivants : Le plateau de Haye (A. Chemetoff urbaniste et paysagiste), le Parc des Carrières (Chauvel et Jacquemin paysagistes), ARTEM (N. Michelin urbaniste, C. Alliod paysagiste) ; trois sites différents au sein des Rives de Meurthe (A. Chemetoff urbaniste et paysagiste) : les jardins d’eau, le mail des canaux et le bras vert ; l’esplanade Cuénot ; l’esplanade Croix de Bourgogne (Hervé Graille et Daniel Pierron architectes), l’Ecoquartier Biancamaria à Vandoeuvre (Agence Verdier-Tappia urbaniste et paysagiste) ; le parc Richard Pouille à Vandoeuvre (parc urbain des années 70) ; le jardin du Champ-le-Bœuf (parc urbain des années 70) ; le barrage de la Meurthe (Bruel-Delmar paysagistes).
Il s’agit de produire une lecture critique de ces réalisations par la photographie, en décomposant le projet suivant différents moments constitutifs tels que le relevé, la mise en récit, la production d’une icône, la saisie du temps. Les travaux de l’équipe PhotoPaysage montrent que la photographie intervient différemment suivant les phases du projet. Aussi plusieurs exercices sont proposés en fonction des moments identifiés, conduisant l’étudiant à prendre conscience de leur réalité, tout en pratiquant la photographie en tant qu’exercice du regard. Privilégier l’entrée photographique n’exclut pas cependant d’autres formes d’expression comme le dessin. Mais un travail spécifique sur ce média est particulièrement intéressant dans la mesure où il soulève des questions fondamentales en termes de pédagogie, de coexistence des formes de représentation et dans la mesure où il permet d’interroger une pratique peu questionnée au sein des écoles de conception. Interroger l’usage parfois trop « facile » et automatique de la photographie est un enjeu pédagogique fort qui permet de questionner des notions à l’œuvre dans le dessin (cadrage, choix de l’information, couleur / noir et blanc,,…) mais aussi des notions propres à la photographie (profondeur de champs, distanciation au réel, références). Le relevé et le récit par la photographie pose également la question du choix, du tri et de la hiérarchie pour un médium où la tentation du nombre, d’une prétendue exhaustivité est grande.
La comparaison entre ce qui est perçu et ce qui a été conçu par les paysagistes est un autre aspect important du projet pédagogique et une autre manière d’aborder la question de la distanciation par rapport au réel d’un médium réputé « capter » le réel de manière plus ou moins neutre. Cette question touche aussi au « réalisme » des représentations dessinées, à la main ou par ordinateur, par les maîtres d’œuvre, architectes ou paysagistes dans le cadre d’une consultation, d’un concours ou d’une communication.
Déroulement de l’atelier :
Séquence 1 : Décrire le site et raconter le projet de paysage par la photographie
Un premier exercice consiste à prendre contact avec le site et raconter le projet de paysage qui y a pris place. Il s’agit pour les étudiants de faire part de leur première prise de contact puis de définir le site du projet par rapport au continuum du paysage.
La dimension narrative propre à l’objectif de « raconter » le projet de paysage grâce à la photographie pose d’emblée la question de la distance par rapport au médium photographique. Il est clair que nous n’attendons pas un relevé exhaustif par la photographie, ni un « mitraillage » mais bien une pratique réflexive de celle-ci.
Il s’agit d’amener l’étudiant à comprendre que photographier c’est d’abord se situer corporellement dans le paysage. Puis c’est regarder, analyser, se rendre compte de ce que l’on voit. C’est ensuite choisir. Choisir un point de vue, un outil, un message ou une information à transmettre. L’étudiant doit prendre conscience de la valeur de médiation de la photographie, de son rôle social et être amener à choisir des modes de représentation en fonction de leurs objectifs médiatiques. A la fois outil de saisie, de relevé in situ, de compréhension, de note, de conception et de communication, la photographie, comme le dessin, est une machine à voir et à faire voir.
Séquence 2 : Inventer « l’image icône » du projet.
Le second exercice s’organise autour de l’idée d’icône. Il s’agit de demander aux étudiants de produire une photographie « icône » du projet. Autre mise à distance, le choix d’une image-icône repose la question du choix mais aussi d’une concentration de sens – ou au contraire d’une abstraction, d’une transfiguration – qui donne à l’image une puissance poétique et narrative particulière. Cette image-icône pourrait également être rapprochée d’autres images-références issues de l’histoire de l’art, de la photographie, du cinéma pour ouvrir l’imaginaire des étudiants.
Séquence 3 : Trouver « l’image icône » du concepteur et la re-photographier
Cette séquence propose aux étudiants de confronter leurs icônes à celles publiées par les concepteurs. L’exercice consiste d’abord à collecter et retrouver les photos du projet publiées puis à retrouver les points de vue in situ et à les re-photographier. Cela pose la question de savoir si le projet représenté est bien advenu, ou plutôt, de savoir quelle distance sépare les images d’origine du paysage réalisé. Cette mise en abîme permet de s’interroger sur la manière dont la perception sensible s’exprime dans les représentations professionnelles. Les étudiants sont invités à porter un regard critique sur ces images et à en interroger la valeur médiatique: sont-elles de simples images séduisantes, références culturelles communes à leur temps, à ce qu’attendent les maîtres d’ouvrages ? Se veulent-elles scénario d’un futur possible, permettent-elles d’imaginer des usages, ouvrent-elles des imaginaires ?
Séquence 4 : « Maquette sensible »
A partir de ce travail photographique, les étudiants doivent réaliser une maquette sensible validant leur lecture du projet de paysage. Par son expérimentation sur les différentes échelles, les matériaux et leur assemblage et par son efficacité figurative, métaphorique et subjective, la maquette donne à voir les composantes perceptibles du projet, la sédimentation dans le paysage traversé. Elle condense les expériences et processus expérimentés par les déplacements et le mouvement.
Séquence 5 : Photographier la maquette in situ.
L’ultime étape est l’installation de la maquette dans le paysage et sa photographie in situ.
La maquette se donne comme une machine à voir, introduisant par là même une dimension corporelle. Sa dimension est réglée par son ajustement aux éléments remarquables du lieu. Le récit du projet de paysage a présupposé une déconstruction/reconstruction de celui-ci par la photographie et ce processus informe largement la construction de la maquette comme machine à voir et à faire voir. La maquette ne constitue pas uniquement une représentation du projet en trois dimensions. Elle vient relayer la photographie sur un mode bien plus subtil et complexe que le passage d’une représentation de deux à trois dimensions. C’est en termes d’allers-retours entre deux modes de figuration qu’il faut penser leur articulation. Ainsi, la photographie de la maquette in situ produit-elle d’autres effets que la maquette elle-même. Elle crée des sauts d’échelles comme elle construit des continuités sémantiques, grâce à des contiguïtés visuelles. La photographie oriente l’objet maquette, elle installe la perception du projet dans le paysage. La photo de la maquette in situ crée autant la surprise qu’un supplément de sens venant confirmer et enrichir les séquences précédentes.